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07 janvier 2011

Déchets ménagers. Un business juteux

Les principales entreprises privées s’arrachent les décharges (TNIOUNI)

Les Marocains produisent chaque année 6,7 millions de tonnes d’ordures ménagères, dont le ramassage, essentiellement assuré par les filiales de multinationales, dégage 1,5 milliard de dirhams de chiffre d’affaires.

“En marchant dans la rue, tout ce que les gens voient, ce sont des ordures entassées dans des bennes ou jetées sur la chaussée. A nos yeux, ce sont des billets de banque à ramasser”. Les propos sont ceux d’un directeur d’exploitation de Segedema, filiale marocaine du Français Pizzorno Environnement. Aussi anecdotiques qu’ils puissent être, ils montrent un fait indéniable : les déchets ménagers sont un juteux business. Au total, les sociétés privées chargées de débarrasser la plupart des communes marocaines de leurs déchets, souvent des filiales de multinationales spécialisées en gestion des ordures domestiques (lire encadré), brassent un chiffre d’affaires dépassant le 1,5 milliard de dirhams. Nos concitoyens “produisent” en moyenne un peu plus de 6,7 millions de tonnes de détritus par an. A elle seule, Casablanca tourne à une moyenne d’un million de tonnes par an. 450 camions, appartenant à trois sociétés privées (Segedema, Tecmed et Sita Al Baida) chargées de la collecte des ordures de la métropole, sont en service 21h sur 24h. Chaque camion transporte en moyenne 7 à 9 tonnes de détritus. En comparaison, Rabat produit une moyenne de 220 000 tonnes de déchets, auxquelles s’ajoutent les 150 000 produites annuellement par les voisins de Salé.

Un argent “sale”

“Ces millions de tonnes d’ordures ont longtemps constitué un casse-tête pour les élus locaux, puisque leurs services étaient chargés de toutes les opérations d’assainissement liquide et solide sur le territoire de leur commune”, souligne cet ancien élu casablancais. C’est d’autant plus étonnant que la possibilité de déléguer le “ramassage” à des privés a été prévue par la charte communale dès 1976. Pourquoi tout ce retard à l’allumage, alors ? “Parce que l’administration de tutelle (le ministère de l’Intérieur, ndlr) n’a autorisé, pendant vingt ans, aucun président de commune à recourir à des services étrangers”, poursuit notre source. Il a fallu attendre la vague de privatisation des années 1990 pour voir les communes se mettre à niveau. En 1997, Rabat crée un précédent en déléguant la gestion de la décharge de Akreuch à Segedema, filiale du géant français Pizzorno Environnement. Quelques mois plus tard, Meknès-Ismaïlia choisit un prestataire privé pour la collecte de ses ordures. Depuis, le marché privé du ramassage de détritus ne cesse de croître, gagnant régulièrement de nouveaux adeptes parmi les communes du pays. Aujourd’hui, une centaine de communes, essentiellement urbaines, ont opté pour le privé. Grosso modo, parce que la collecte des déchets ménagers revient cher à la collectivité locale. Le coût minimum par tonne de déchets est de 150 dirhams. Dans des villes comme Casablanca, Marrakech ou Agadir, ce coût atteint 200 dirhams. Sans oublier le coût de la mise en décharge (5 dirhams) et celui de la main d’œuvre (une moyenne de 60 dirhams). Au total, la facture payée par nos différentes communes qui ont recours aux services de ces spécialistes privés dépasse 300 dirhams par tonne (366 pour Casablanca).

Des décharges en or

Collecter les déchets et les acheminer vers une décharge publique représente donc un filon en or. “Mieux encore, ce qui rapporte vraiment gros, c’est la gestion des décharges”, souligne notre interlocuteur, professionnel du secteur. Toutes les villes du royaume réservent des dizaines d’hectares au stockage des ordures. Des zones hautement polluées que les principales entreprises privées s’arrachent, dans le but de récupérer le contrat de gestion d’une décharge. La concurrence est si acharnée qu’elle a failli priver la ville de Rabat, par exemple, d’un projet de décharge nec plus ultra. Explication : début 2005, la capitale lance un appel d’offres pour la gestion déléguée de la nouvelle décharge d’Oum Azza. Dix mois plus tard, les Français de Segedema sont déclarés adjudicataires provisoires, mais pas pour longtemps. En avril 2006, le conseil de la ville renonce à ce premier choix au profit de l’Espagnol TecMed. La raison invoquée ? Un détail technique se rapportant au traitement du lixivia, un “jus d’ordures” hautement toxique.

Segedema a fini par décrocher, malgré tout, le marché (avec à la clé une concession estimée à près de 1,3 milliard de dirhams sur 20 ans) à la faveur de ce que ses concurrents ont appelé “le lobbying à la française”. Vrai ou faux, il reste que la ville de Rabat a été, entre-temps, sur le point de renoncer à son fameux projet de décharge. Les mêmes turbulences ont été observées lors de la désignation du gestionnaire de la nouvelle décharge de Casablanca. Le site choisi, sur la route de Médiouna, a aiguisé de nombreux appétits avant que le marché ne soit finalement attribué aux Américains d’EcoMed. Signalons au passage le cas de Marrakech, où la gestion déléguée de la décharge vient d’être attribuée à la filiale de Pizzorno Environnement pour la coquette somme de 50 millions de dirhams par an.

Pour ne pas être en reste, le gouvernement a élaboré, en 2006, un projet de loi organisant la gestion des déchets ménagers au Maroc. Au parlement, la discussion du texte de loi a buté sur le seul article 48 qui impose, entre autres, l’obligation (pour les gestionnaires délégués des décharges publiques) de procéder à un découpage selon la nature des déchets à traiter. Trois espaces sont spécifiés : le premier pour les déchets ménagers, le deuxième pour les déchets industriels, médicaux et agricoles, et le troisième pour le traitement des déchets à haute toxicité. Le texte a finalement été voté mais tout le monde attend la publication de ses décrets d’application.

Zoom. Les pros de la collecte

Au Maroc, la collecte des déchets ménagers est une chasse gardée des étrangers. Les plus grosses parts de marché sont détenues par cinq multinationales : l’Espagnol TecMed, l’Américain EcoMed, les Français Segedema (filiale de Pizzorno Environnement), Sita (filiale de Suez) et Veolia Propreté. Ces cinq sociétés couvrent tout le territoire national et contrôlent plus de 80% du secteur. Quelques Marocains réussissent tout de même à tirer leur épingle du jeu. C’est le cas de SOS dont les bennes à ordures meublent le paysage urbain casablancais depuis 7 ans. Cette société a même réussi à décrocher le contrat d’assainissement public d’une bonne partie de la ville de Salé et plus récemment celui de Ouarzazate. Dans le sillage de ces gros poissons, naviguent d’autres sociétés 100% marocaines, comme GMM ou encore Tout Propreté.