Article de Libération en date du 8 Octobre 2011

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Décharge de Bagnols : la justice charge Pizzorno

Procès . Le groupe était jugé depuis jeudi pour avoir traité illégalement des déchets toxiques.

Le tribunal correctionnel de Draguignan (Var) avait prévu un peu court. Il devait juger jeudi dix salariés et entreprises soupçonnés d'avoir enfoui n'importe quoi dans une décharge publique, à Bagnols-en-Forêt (Libération de jeudi). Il a fallu finalement deux jours, sans trop d'interruptions. Les avocats étaient arrivés avec une batterie de demandes de renvoi, exceptions de nullité et questions préalables de constitutionnalité - rejetées car «dépourvues de sérieux».

Le tribunal a passé des heures dessus avant de pouvoir aborder le fond. Catherine Doustaly, vice-procureure, qui a requis entre 50 000 et 100 000 euros d'amende pour chaque entreprise et 10 000 pour chaque salarié, regrettait jeudi la guérilla juridique. «On cherche à tout prix à faire tomber cette procédure», tonnait-elle.

Frigos. La suite de l'audience a montré pourquoi. La décharge de Bagnols ne devait accueillir que des déchets ménagers de communes voisines, mais elle a vu arriver boues toxiques, frigos, coques de bateaux, batteries, peintures, mâchefers, etc. Pour le groupe Pizzorno, exploitant de la décharge, c'était rentable. Entre 2004 et 2008, il a touché 1,8 million d'euros pour enfouir 88 000 tonnes de mâchefers. Quatre à huit camions venaient chaque jour d'Antibes ou de Nice décharger ces résidus d'incinération, souvent chargés de métaux lourds. C'est illégal, et l'audience a montré que l'entreprise le savait et que le PDG entretenait l'opacité, selon un ancien directeur.

Les procédures de contrôle ont rarement fonctionné. «Il n'y avait aucune vérification à l'entrée», expliquait un chauffeur pendant l'enquête. Les caméras ne voyaient rien, car les camions restaient souvent bâchés. Puis, sur le quai de déchargement, les salariés pouvaient refuser ce qui n'était pas conforme, «mais cela ne se faisait pas». Un agent a tenté de donner l'alerte, mais le casse-pieds a été écarté, puis payé près de deux ans à ne rien faire. Certains de ses collègues ont demandé naïvement pourquoi il n'était jamais écrit «mâchefers» sur les bons de pesée. L'entreprise les a priés de se mêler de leurs affaires. Des associations, aidées par des salariés, ont pris la relève et alerté les services de l'Etat. Las, l'inspection des installations classées du Var n'a rien vu d'anormal à Bagnols. Ce sont ses collègues des Alpes-Maritimes qui ont finalement dressé le premier procès-verbal. «Pourtant, si elle voulait prendre ce problème à bras-le-corps, la Drire avait tous les éléments», relevait jeudi la présidente, Emmanuelle Bessone, incollable en mâchefers.

Ruisseau. L'audience marathon a rendu très bavards d'anciens cadres de Pizzorno, jusque-là très discrets. Quant aux élus, ils ne se sont pas montrés plus curieux que l'inspecteur varois des installations classées. Ils laissaient l'exploitant gérer comme il le voulait ce site où le compacteur de déchets était souvent en panne, le bac de lixiviats (résidus liquides des déchets) débordant dans le ruisseau et les ordures restant parfois quinze jours au vent sans être recouvertes.

«La gestion des déchets est pourtant une question passionnante, regrette MichelTosan, un écologiste, élu en 2008 maire de Bagnols après avoir mené la fronde. Mais au lieu de s'en saisir, la plupart des élus préfèrent cacher cela sous le tapis et s'en remettent à des industriels qu'ils ne contrôlent pas.»

Sa commune a fait citer voilà dix jours devant le tribunal le PDG de l'entreprise, que le parquet avait oublié. Le patron sera jugé en mars, car il a demandé du temps pour préparer sa défense. Il en aura besoin, vu ces deux jours d'audience.

Olivier Bertrand, Envoyé spécial à Draguignan