Paris Match > Jeudi 3 Février 2011 > la semaine investigation



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FRANÇOIS LÉOTARD UN FÉLIN QUI GRIFFE ENCORE




Retiré à Fréjus et conseiller d'une société de traitement de déchets, l'ancien ministre est rattrapé par l'affaire Karachi.




Elevé par une mère corse, François Léotard a longtemps fait l'éloge de la vengeance. C'est par elle, et pour laver l'honneur de son père, ancien maire de Fréjus traîné dans la boue après l'écroulement d'un barrage, qu'il dit être entré en politique. C'est par elle qu'il vient de se rappeler au souvenir de ses vieux ennemis, Jacques Chirac et Charles Millon. Selon lui, si onze Français ont été tués en 2002 dans un attentat à Karachi, c'est parce que ces deux-là ont arrêté le paiement des commissions du contrat des sous-marins Agosta. Un contrat que Léotard, alors ministre de la Défense, avait signé avec le Pakistan en 1994. «Un engagement de l'Etat, lorsqu'il n'est pas respecté, rend cet Etat vulnérable. Cet acte ne pouvait manquer d'avoir des conséquences lourdes», a-t-il rappelé ce lundi à Rue89, puis au juge Trévidic, chargé de l'enquête.




On dit souvent qu'en politique, on n'est jamais mort. Léotard, lui, s'est fait hara-kiri un jour d'hiver 2001. Son frère admiré, l'acteur Philippe Léotard, venait de succomber. Lui avait connu la calomnie - un livre l'accusant à tort d'avoir commandité l'assassinat de la députée Yann Piat - puis la défaite électorale, avant de frôler la mort - la vraie - avec un infarctus et un triple pontage. Les mauvaises langues murmurent que Chirac aurait poussé «Léo» vers la sortie à cause de dossiers compromettants. «Archifaux!» s'emporte son ancienne âme damnée, Renaud Donnedieu de Vabres. Pendant plus de dix ans, et jusqu'à leur condamnation en 2004 dans l'affaire du financement du Parti républicain, Donnedieu et Léo ont été inséparables. A tel point qu'au ministère de la Défense, RDV, conseiller spécial, occupait le bureau mitoyen de Léo, réservé au directeur de cabinet. «Nos vies se sont séparées, raconte aujourd'hui Donnedieu, mais il y a une fidélité, un lien qui subsiste.» Et de défendre les contrats Agosta et Sawari II - avec l'Arabie saoudite - sur lesquels planent des soupçons de rétrocommissions via des intermédiaires sulfureux: «C'est une injustice monstrueuse. Ces contrats ont été une grande victoire économique. Pendant les dix ans qui ont suivi, la France n'a réussi à signer aucun autre contrat avec l'Arabie saoudite. Cela prouve que nous avions alors bien choisi nos intermédiaires. » A l'époque, Léotard se rêvait Premier ministre de Balladur. «Un fantasme absolu», se souvient un ancien du cabinet.




Seize ans plus tard, l'ancien prince des sondages, le séducteur frénétique vit à Fréjus, avec sa femme Isabelle et leur fils unique, Marc-Antoine, 18 ans. Dans sa propriété provençale, il a essayé, en vain, de faire pousser des oliviers. Il y a aussi un four à pain, une piscine, des perruches. Des anciens de la bande à Léo (Madelin, Malhuret...), seul Gérard Longuet a conservé des relations avec lui. «L'affaire Karachi, François la vit avec sérénité, confie-t-il. Tout le monde a été associé à ces contrats, Mitterrand, Balladur, Juppé. Le choix des intermédiaires a été avalisé par les plus hautes autorités. » Est-il amer, celui à qui l'on promettait un grand destin, mais qui avait la faiblesse de ne pas y penser chaque matin en se rasant ? « Il est plus ironique qu'amer, plus narquois que désabusé », répond Longuet. Il y a trois ans, son éditeur chez Grasset, Manuel Carcassonne, avait proposé à Léotard, ancien séminariste, d'écrire sur les moines de Tibéhirine. «Il ne le sentait pas», raconte Carcassonne. Et ce dernier de se souvenir d'un dîner, l'an passé, avec des patrons de l'audiovisuel. «C'était comme de voir un félin se réveiller. Quand Léotard a pris la parole, on a tous eu l'impression qu'il était encore ministre et qu'il nous disait quoi faire.» Quand il n'écrit pas, Léotard navigue en Méditerranée et conseille une société de traitement de déchets, Pizzorno, dont il est administrateur. Cette activité lui assure 120000 euros par an, qui s'ajoutent à ses retraites de député et d'inspecteur des finances. Il y a dix jours, Léo était en Mauritanie, où Pizzorno a obtenu le marché de la ville de Nouakchott. Et lorsqu'il est question d'un appel d'offres à Dakar en 2008, il sait encore décrocher son téléphone pour appeler son ancien conseiller, devenu alors ambassadeur, Jean-Christophe Rufin. Léotard sera-t-il rattrapé par l'affaire Karachi ? « Il est le bouc émissaire idéal. Ça ne peut que lui plaire», résume un proche.

L'ancien ministre balladurien a été entendu lundi 31 janvier par le juge antiterroriste Marc Trévidic.




« Il est plus ironique qu'amer, plus narquois que désabusé »




LÉOTARD, L'ÉCRIVAIN Une reconversion n'est jamais facile. Celle de François Léotard encore moins. L'image de l'homme politique continue à brouiller celle de l'écrivain. Et pourtant, « Léo » a toujours connu cet appel de l'écriture, du livre, des beaux mots. En pleine campagne de Balladur, il songeait déjà à tout abandonner. En mars 2010, le quatorzième livre - et troisième roman - de François Léotard, « La nuit de Kahina », chez Grasset, n'a pas eu l'accueil qu'il méritait. Il s'agit là, pourtant, de son meilleur roman, le plus abouti, le plus noir aussi. Il lui aura fallu un an et demi pour accoucher du voyage intérieur de Max, photographe coincé derrière les barreaux. Il n'est question que de crimes et de guerres : 39-45, le Vietnam, l'Algérie. «Ce qui nourrit mon pessimisme, c'est que je sais que la guerre recommencera. On a le mal en nous, confie Léotard, qui ajoute : L'écriture est le seul moyen pour moi d'exprimer mes douleurs. » Et elles sont légion. Valérie TRIERWEILER DAVID LE BAILLY , FRANÇOIS LABROUILLÈRE

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